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Villes 30 : villes vivables, villes cyclables
Alors que le nombre de victimes ne cesse de baisser sur les réseaux routiers, en particulier grâce aux radars, le phénomène inverse s’observe en ville. Comme si par un jeu de vases communicants la violence qui ne peut plus s’exprimer sur la route se reportait sur la rue.
Laisser nos rues et nos quartiers servir de défouloir à quelques chauffards n’est pas une fatalité ; redonner à la ville sa fonction centrale de lieu de vie et d’activité, permettre à tous les usagers de cohabiter sans même réduire les temps de parcours en automobile … et ceci en quelques mois à peu de frais : certains l’ont fait, cela s’appelle une ville 30. Chiche ?
Pourquoi 50 km/h en ville ?
On doit souvent se justifier pour demander des limitations à 30 km/h, mais la vraie question est plutôt ; pourquoi 50 km/h dans les quartiers et centre-villes ?
Permettre des pointes à 50 km/h dans les lieux de vie n’a en effet aucune justification :
– les pointes de vitesse à 50 km/h au travers des quartiers ou des centre-villes, du fait des nombreux points de ralentissement (stop, feux, encombrements, manœuvres etc.) n’ont dans la plupart des configurations aucun effet sur les temps de parcours,
– en revanche le 50 km/h est incompatible avec la vie locale, que ce soit en terme de sécurité, de bruit ou d’émissions de polluants locaux engendrés par les fortes accélérations inutiles :
- à 30 km/h il faut 13m pour s’arrêter alors qu’à 50 km/h l’automobiliste aura parcouru 14m avant même d’avoir commencé à freiner !
- Lors d’un choc avec un piéton ou un cycliste à 50 km/h le risque de décès est multiplié par 9 par rapport à un choc à 30 km/h !
La probabilité d’être tué d’un piéton lors d’une collision avec une voiture de tourisme croît très rapidement avec la vitesse (source : BPA Bureau Suisse de Prévention des Accidents) :
De la ville routière à la ville 30
Le Bureau suisse de Prévention des Accidents (bpa) a introduit le modèle 30/50 vers 2002 . Celui-ci consiste à aménager l’ensemble de la ville en zone 30, à l’exception des boulevards dédiés au trafic qui restent limités à 50 km/h.
Déclinaison du concept à Nogent sur Marne(94), Bruz (35), Lorient (56) et Clichy la Garenne (92)
Un renversement des valeurs
Alors que les zones 30 étaient considérées comme des dérogations au 50 km/h et concédées devant telle école sous la pression des parents, ou dans telle rue sous la pression des habitants, elle deviennent la norme et c’est le 50 km/h qui devient l’exception.
C’est ce renversement, et le discours qui l’accompagne, qui différencie la ville 30 d’un simple développement des zones 30 : il s’agit d’énoncer clairement que les rues de quartiers sont des espaces urbains supportant de nombreuses fonctions de vie locale, qu’elles ne sont pas de simples tuyaux isolés de leur environnement et encore moins des routes dont l’usage serait réservé aux automobiles.
On passe ainsi d’une représentation de la ville de type filaire ou « carte Michelin », matérialisée par son réseau de circulation, à une représentation en aires de vie où les quartiers sont considérés comme des unités, sans coupures.
Un équilibre entre les fonctions de vie locale et de trafic
La prise en compte de cet équilibre conduit naturellement à la ville 30 ; le CERTU préconise en effet la zone 30 dans les quartiers ou les deux fonctions doivent cohabiter, le 50 km/h sur les axes urbains à dominante trafic et à l’inverse les zones de rencontre et les zones semi-piétonne là où la vie locale est prépondérante (hyper centre, abords d’écoles, parvis de gare, rue de desserte résidentielle). Cette hiérarchisation permet de mettre en cohérence les différents espaces et d’en assurer une bonne lisibilité, à l’inverse des situations où les zones 30 ne concernent que des tronçons isolés formant un patchwork incompréhensible.
Des expériences contagieuses
Graz (Autriche) est la premières ville européenne à avoir appliqué le concept de ville 30 dès 1992, tandis que Zollikon (Suisse) a reçu le prix bpa de la sécurité suite à sa conversion à 30 effectuée en temps record (2 mois !) avec des aménagements légers et peu coûteux en 2004.
En France, si un certain nombre de villes ont commencé dès les années 80 à développer les zones 30 à l’échelle des quartiers (Rueil Malmaison, Lorient etc.) c’est Fontenay aux Roses (92) qui a inventé le terme de ville 30 en se proclamant « première ville 30 de France » en 2005. Nogent sur Marne (94) fit de même en 2006.
L’effet d’entraînement est sensible dans les Hauts de Seine puisqu’à la suite de Fontenay aux Roses, sa voisine Sceaux dont la quasi totalité des quartiers était déjà à 30, a franchi le cap en 2008, suivie d’autres voisines proches (Clamart et Sèvres) ou plus éloignées (Clichy la Garenne).
Des Similarités dans la mise en œuvre pour les pionnières
A l’exception de Zollikon qui a opté pour le traitement de choc, avec des résultats tout aussi fulgurants en terme de sécurité routière (-25% d’accidents), le cheminement de pionnières semble être le suivant :
– de premières réalisations de civilisation des espaces publics (1ère rue piétonne d’Ile de France pour Sceaux en 1974, …)
– un passage des zones 30 linéaires à des zones 30 à l’échelle de quartiers,
– un basculement en ville 30, suite logique au passage de la majorité des quartiers à 30, permettant de mettre en cohérence les signalisations qui pouvaient être assez hétéroclites du fait de l’étalement des réalisations sur une longue période.
Et des pistes pour les nouvelles candidates
La mise en œuvre peut s’envisager en quelques mois comme à Zollikon (12000 hab.), ou dans les villes plus importantes ayant déjà une partie des quartiers à 30 (villes du 92).
A la différence des pionnières qui ont mis 30 ans pour passer à 30, délai naturel de renouvellement des chaussées, il semble possible d’aller beaucoup plus vite en utilisant la panoplie d’aménagements légers (balises plastique, jardinières, coussins berlinois préfabriqués etc.) et en traitant en priorité les entrées de quartier. Cette stratégie permet d’assurer une bonne compréhension de la démarche qui sinon risque d’être diluée dans le temps. Les aménagements légers permettent également de tester diverses configurations jusqu’à ce que la bonne soit trouvée. Ensuite les aménagements sont passés en « dur » avec un traitement plus soigné au fur et à mesure des réfections de chaussées.
Ville 30/50 ou Ville 30 ; le traitement des boulevards
Les boulevards peuvent être laissés à 50 km/h avec des passages à 30 au droit des écoles par exemple, ou bien être intégralement limités à 30 comme à Fontenay aux Roses.
Coté aménagements, on trouve des bandes cyclables, éventuellement dans le seul sens montant en cas de manque de place (Sceaux, Fontenay), des pistes entre trottoir et stationnement, des plateaux traversant, des couloirs bus-vélo etc.
La dynamique du Conseil Général est un élément clé ; il peut être proactif, neutre ou bien un frein, mais dans tous les cas le maire qui a pouvoir de police peut imposer la modération de vitesse sur son territoire.
Des boulevards aux quartiers
S’il existe plusieurs manières de créer un effet de porte en entrée de zone 30, le trottoir traversant semble devenir la norme pour le passage des boulevards aux quartiers ; celui-ci permet à la fois de marquer le passage d’un espace à dominante trafic à un espace de vie, et de rétablir la continuité des cheminements piétonniers.
Dans les quartiers à 30
En section courante on trouve des cousins berlinois et/ou du stationnement alterné qui peut convenir pour de faibles trafics. Des dispositifs d’écluses avec by-pass vélo, des bandes cyclables et des plateaux dans des rues inter-quartiers plus larges et plus fréquentées.
Depuis le décret « code de la rue » la circulation à double sens des cyclistes est la règle, ce qui permet entre autre d’améliorer le respect du 30 dans les rues à sens unique, l’automobiliste étant contraint de partager la rue. Les villes 30 d’Ile de France en sont encore peu équipées mais Sceaux et Clamart promettent de tenir le délai réglementaire de mi-2010 pour leur généralisation, malgré l’ampleur de la tâche que cela représente pour une ville 30 !
Les cheminements cyclistes peuvent être matérialisés par des pictogrammes au centre de la chaussée pour renforcer leur perception, notamment sur des itinéraires de desserte d’établissements scolaires, en attendant que le partage de la rue devienne un réflexe. Attention toutefois aux effets pervers ; les rues démunies de pictogrammes ne seraient pas à partager ?
Aux intersections c’est le régime de priorité à droite qui prévaut, éventuellement renforcé par un carrefour surélevé, ou un mini giratoire (peu répandu en IdF).
Villes 30, une identité affirmée
En complément des aménagements, une bonne communication est nécessaire pour que les habitants s’approprient la démarche. Site Internet, journal municipal, tracts, réunions publiques et de quartiers sont les clefs du succès. Divers éléments de mobilier urbain permettent également de rappeler que les routes sont devenues des rues.
Patrice Nogues